La difficulté à valoriser l’habitat en centre ancien n’est pas une problématique nouvelle. Ce sujet attise les réflexions depuis des décennies et mobilise ainsi l’attention des disciplines impliquées dans l’aménagement des territoires. Cette crise dure et nous invite à repenser les modèles de fabrication de la ville à différentes échelles dans le but de promouvoir le désir d’habiter dans les centres anciens.
Cet article s’intéresse aux situations des centralités bâties implantées en milieu rural et périurbaines. Il s’appuie sur plusieurs expériences concrètes de maîtrise d’œuvre urbaines et architecturales. Elles ont toutes été menées auprès de collectivités de tailles moyennes à petites pour agir sur la revitalisation de leurs centres anciens.
Je réaffirme ici l’importance de doter ces territoires d’une vision transversale et globale, mise en œuvre au travers d’un plan d’actions cohérent et pensé dans le temps.
Ce travail implique de s’interroger à nouveau : Pourquoi habiter dans l’ancien ? Comment habiter dans l’ancien ? Et pour qui ?
Habiter dans l’ancien, quels constats ?
Bien sûr, tous les territoires ne sont pas égaux face aux leviers potentiels de valorisation de leurs centres anciens. Quand les uns bénéficient d’une certaine attractivité touristique, d’autres subissent une influence économique métropolitaine. Certains offrent une qualité d’environnement exceptionnel quand d’autres sont parfois isolés et sans dynamiques perceptibles à l’horizon. Malgré cela, il s’opère dans l’ensemble, plus ou moins brutalement, un délaissement de l’habitat en centre ancien au profit des extensions urbaines.
Nous connaissons bien aujourd’hui les causes multiples de cette déprise : la complexité d’adaptation de cet habitat à la diversité des situations, une économie de montage souvent déséquilibrée, la difficulté de transformer l’existant pour y intégrer certaines aménités contemporaines, la nécessité de travailler sans standards et sans économie d’échelle, etc.
Or, nous connaissons également le potentiel sous-jacent de ces tissus existants à réparer : ils offrent la certitude d’habiter dans une situation unique qui contient le récit d’une histoire et de son évolution. Ces tissus bâtis sont un excellent support de réactivations des techniques constructives et savoir-faire associés, trop souvent oubliés. Ces habitats possèdent d’ailleurs, le plus souvent, un caractère spatial singulier et valorisant. Mais surtout, habiter dans l’ancien renvoie généralement à un tissu dense et actif qui favorise la vie locale, les échanges, les modes doux, la qualité des parcours et plus globalement le vivre ensemble.
Il n’y a pas de recette, chaque situation est spécifique, mais il est urgent d’infléchir le processus de fabrication de la ville dans tous ces territoires qui voient leurs centres anciens délaissés.
Habiter dans l’ancien, un acte écologique
C’est indéniable, à l’heure de l’anthropocène, habiter dans l’ancien permet de réduire considérablement le bilan carbone de la construction. Pour toutes les raisons citées plus haut, et la liste n’est pas exhaustive, réparer nos centres-anciens est une évidence à l’aube de la crise environnementale que nous traversons. Œuvrer pour la remise sur le marché du bâti vacant et/ou dégradé demeure beaucoup plus vertueux que de continuer à construire en dehors des centralités constituées. Cette volonté s’accompagne d’une capacité régénératrice des filières constructives oubliées ou naissantes qui font appel à des ressources locales, renouvelables et biosourcées (terre crue, paille, chaux, pierre massive, etc.). Considérons donc ce patrimoine bâti comme une ressource écologique. Il s’agit d’un véritable levier national pour assurer une part de la transition environnementale qui tarde malheureusement à s’opérer dans le domaine du bâtiment.
Habiter dans l’ancien, un acte politique
Trop rares sont les élus qui sauront définir et porter seuls une vision politique transversale sur le territoire. Même si cela paraît normal, trop rares encore sont ceux qui s’en donneront les moyens pour autant. Seul l’urbanisme de projet (au-delà de l’urbanisme règlementaire pur), doté d’une visée transcalaire, peut permettre aux collectivités locales d’établir cette vision stratégique (et de se doter des bons outils) pour la porter et la mettre en œuvre.
Comment promouvoir l’habitat dans l’ancien sans volonté politique forte ?
Nous devrions par exemple commencer par ouvrir les yeux sur la concurrence déloyale qu’offre le pavillonnaire face à l’habitat de centre ancien. Il est pourtant possible d’utiliser les outils classiques pour le réguler à l’échelle territoriale (SCOT, PLH, PLUI, OAP, etc.), mais encore faut-il s’accorder et raisonner global.
Par ailleurs, nous devrions promouvoir l’idée « d’habiter » comme un ensemble d’actions d’abord quotidiennes renvoyant au « cadre de vie » en général. Cela implique de dépasser le cadre resserré du logement. « Habiter », c’est se déplacer, bénéficier de services locaux, contempler, se loger, apprécier la qualité des espaces publics à sa disposition, travailler, sortir le soir, se garer, etc. Dans ce sens, la vision stratégique politique doit permettre de valoriser un contexte de vie global, en faisant le moins d’impasses possible. Cette acculturation doit transiter au maximum vers la population afin qu’elle puisse cerner les enjeux et s’approprier les problématiques (étude participative).
Aussi, dans bien des cas, remettre sur le marché un bien ancien et souvent dégradé, c’est d’abord gérer un déficit d’opération. Si la collectivité doit intervenir et investir sur l’espace privé, c’est aussi dans le rééquilibrage de ces opérations. La collectivité est responsable de l’avenir de son centre ancien, un bien d’intérêt collectif qu’il faut soutenir lorsqu’il permet d’offrir un habitat cohérent avec la vision stratégique établie au préalable.
Enfin, il semble pertinent que la collectivité montre l’exemple et favorise un effet d’entrainement pour la réparation de l’habitat ancien. La collectivité ne peut pas tout faire, mais elle peut déjà initier et valoriser certains leviers de revitalisation des centres anciens, y compris dans le domaine privé. Ces démonstrations mettent parfois en exergue le potentiel existant de ces biens vacants dont les propriétaires se désintéressent trop souvent.
Habiter dans l’ancien, un travail de terrain
La réparation des centres anciens nécessite une approche opérationnelle. Il s’agit d’arpenter finement le patrimoine existant pour le comprendre et savoir le transformer avec justesse. L’objectif est de rendre concrètes les opérations pensées dans la stratégie transversale. Cela ne consiste donc pas ici à simplement penser, animer, inciter ou faire la promotion des intentions de projet, mais bien à les rendre réalistes dans leurs contextes respectifs. L’architecte a toute sa place dans ce processus de synthèse. Il s’agit à la fois de préparer le terrain des investisseurs publics et privés (programmation, faisabilités urbaines et architecturales, montage, bilan, etc.), mais également d’aller les chercher et de provoquer leur besoin d’agir dans les centres anciens (atelier logement, rencontre de bailleurs et promoteurs, rencontre des propriétaires, mis en place d’outils spécifiques, etc.)
Cette approche opérationnelle implique de savoir faire des choix. L’ensemble du patrimoine existant n’est pas aussi facile à remettre sur le marché. L’analyse précise des capacités de régénération du tissu ancien est donc essentielle. Nous devrions assumer qu’il n’est parfois pas opérant de vouloir à tout prix réinvestir certaines situations ponctuelles en l’état, trop incompatibles avec notre société contemporaine.
Aussi, il est important de mettre en adéquation chaque situation avec le potentiel qu’elle offre en matière de typologie d’habitat. Il est parfois nécessaire d’orienter les cibles de marchés en fonction des ressources liées à la spécificité d’un tissu.
Enfin, soyons stratégiques et tentons de penser globalement la reconquête de l’habitat des centres anciens. Il est par exemple parfois plus adéquat de proposer des stratégies de réparation multisites, plus adaptées aux moyens de certains investisseurs, et permettant potentiellement un meilleur équilibre global d’opération.
Habiter dans l’ancien, un acte manqué
L’acte manqué, pensé ici comme une demie-réussite, ou un demi-échec, représente plutôt bien le sentiment mitigé qui anime nos disciplines sur le présent thème.
Ne sommes-nous pas trop timides lorsque nous évoquons les potentiels de rénovation de l’ancien dans les centres ruraux et péri-urbains ? Notamment au sujet de la programmation des habitats anciens ? Ne choisissons pas la facilité et allons plus loin ! Arrêtons, par exemple, de penser que l’habitat de centre-bourg n’est adapté qu’aux seniors et aux jeunes couples. Faisons des centres anciens un lieu de vie pour les familles avec de grands logements (parfois même sans jardin ni garage !).
Arrêtons de penser qu’un habitat pour senior est systématiquement doté d’un ascenseur. Habitons les rez-de-chaussée accessibles et montons les marches des escaliers comme nous le recommandent les médecins.
Soyons inventifs et faisons la promotion des nouveaux modes d’habitats intergénérationnels, participatifs et collaboratifs.